La course poursuite entre Jean-Marc Dubouloz, Emil Barbut et Bernard Cauquil aura certainement été le point fort de cette édition 2021 du Sun Trip. Jamais nous n’avions vu un tel niveau de performance, les 3 leaders faisant tous tomber les records des éditions passées. La moyenne journalière finale, de 280 km en 2015 et 2018, passe à 350 km pour les deux premiers, à 300 km pour Bernard. Le record de km en une journée, établi en 2018 à 427 km par Eric Morel, a été battu plusieurs fois, par Jean-Marc et Emil, avec des pointes à plus de 450 km entre 6h et 21h !
Il est donc passionnant de prendre le temps d’une analyse de la stratégie de parcours des 3 leaders, de revenir sur les phases de courses décisives, de vous livrer quelques détails masqués.
Cette analyse du parcours, en 10 actes, s’appuie sur l’extrapolation du parcours des 3 leaders faite par Yann Cauquil, SunTripper 2018, visible sur ce lien.
Acte 1 : Allemagne-Pologne
Il faut déjà rappeler la chaleur des premiers jours de route, avec des températures proches de 40°C. Le premier réflexe pour beaucoup, Bernard Cauquil compris, est de penser que les participants en vélomobile ne tiendront pas le choc ! “Ils vont se déshydrater rapidement, la route est encore longue”, commentait le vainqueur 2015, confiant alors de pouvoir reprendre les bolides dans la 2ème partie d’aventure. Il faut croire que Jean-Marc et Emil avaient de bonnes connaissances en termes d’hydratation !
En moins de 48h les leaders approchent de Berlin (Bruxelles-Berlin en 2 jours…ça pose le décor directement !) et à ce moment là intervient un premier fait de course. Jean-Marc confesse une première erreur, en tirant trop au niveau de Berlin, qu’Emil avait soigneusement évité en restant sur une ligne plus directe. Jean-Marc de conclure : “sur ce secteur la bonne ligne est celle de Bernard au final. Moi je suis allé trop au sud, et le lendemain heureusement sur je claque un 449 km, mais ce record n’aura pas servi à creuser l’écart mais juste à compenser mon erreur de la veille. Au milieu de la Pologne, Emil est revenu à une trentaine de kilomètres de moi”.
Dès les premiers jours, on se rend compte que la moindre erreur se paiera sur cette édition 2021.
Et de son côté Bernard formule quelques regrets sur ce début d’aventure, “avec du recul je me dis que j’aurais dû prendre plus de temps pour travailler les premiers jours de route. J’aurais alors décidé de passer par le Danemark, la Suède puis le ferry pour rallier Riga, ça aurait été plus sympa et plus stratégique car le début était trop favorable aux velomobiles”.
Acte 2 : le pont interdit ?
Au début du 5ème jour d’aventure, les leaders entrent en Lituanie. Et c’est l’heure de la première réclamation du Sun Trip 2021 !
Jean-Marc (et/ou son équipe de routage) qui avait bien préparé son coup, en imaginant un itinéraire en bordure de l’enclave russe de Kaliningrad, était furieux de voir Emil entrer tranquillement en Lituanie, par la voie la plus rapide, menant droit sur la ville de Kaunas et au final sur le passage d’un pont interdit aux vélos.
Sur le moment Jean-Marc demande donc une intervention du Jury, qui conclut sur le fait que la route prise par Emil était autorisée jusqu’à Marijampole, car elle n’était manifestement pas une autoroute. C’est la règle qui est communiquée aux participants.
Mais le problème se reporta sur le passage du pont de Kaunas, le lendemain. Les deux premiers participants arrivant là se rendant vite compte que le seul moyen de passer le fleuve Nemunas à l’Ouest de la ville, était de franchir un pont affiché comme interdit aux vélos.
“J’ai découvert la situation en arrivant sur place” commente Emil. “Je pensais vraiment pouvoir trouver une autre solution, mais au final la réalité c’est que des tracteurs et des vélos empruntaient le pont… Il n’y avait pas d’alternative et pas de danger apparent« . Un état des lieux confirmé par Bernard, puis par tous les autres participants.
“Ma trace était sur le papier plus directe, mais sur les petites routes j’ai perdu beaucoup de temps, une perte de 2 heures à mon sens”, complète Jean-Marc, qui au retour de Riga était content lui aussi d’emprunter ce pont de Kaunas, finalement.
N’en reste pas moins qu’il faut reconnaître à Jean-Marc d’avoir eu raison sur ce coup. Les participants auraient tous dû éviter les routes principales à l’entrée de la Lituanie, pour éviter ce pont interdit. Le mauvais exemple des 2 premiers, validé par l’absence de réaction du jury (toujours bien difficile sur ces cas), a entraîné tout le monde sur un itinéraire non conseillé. Un cas à garder en mémoire pour la suite des aventures Sun Trip.
Acte 3 : le piège Ukrainien
Le passage par les pays Baltes n’apportera pas grand chose dans le duel entre les leaders. Mais un acte important intervient au moment d’approcher l’Ukraine.
Premièrement, au jour 8 Emil passe en tête pour la première fois. A ce moment-là on se demande toutefois si Jean-Marc n’a pas laissé le lead, par stratégie, afin de voir quelle frontière ukrainienne (la plus compliquée) Emil allait prendre, et aussi par élégance, pour laisser Emil arriver en tête en Roumanie, son pays natal. Les deux en rigolaient ensemble à Riga, on ne saura jamais si ces bonnes intentions ont joué. Laissons une part de mystère.
Deuxièmement, l’entrée en Ukraine était un petit défi en termes de frontière. Emil aura dû s’y prendre à 3 fois pour trouver une frontière où passer avec son vélo. Jean-Marc a dû faire œuvre de patience sur 2 postes différents. Au final, aucun des deux ne prend la même frontière, mais les écarts se neutralisent sur ce passage. Emil reste en tête mais ne gagne pas de temps sur l’opération.
Le troisième acte sera plus décisif : le choix des routes dans le sud de l’Ukraine vient apporter un net avantage à Emil. “On a effectivement voulu éviter une route réputée pourrie en empruntant une route trop Sud, qui nous a fait perdre 60 km sur Emil qui, comme Bernard et les suivants, ont emprunté sans dommages cette route”, regrette Jean-Marc.
“Emil accroît son avance ce jour- là en Ukraine et dort 100km plus à l´Est. Il pleut. Le lendemain, il touche le beau temps, qui est à l´Est, beaucoup plus rapidement que moi et s’envole pour entrer en Roumanie avec une belle avance qu´il confortera jusqu´à Constanta”.
Le constat est implacable, Jean-Marc vient de perdre 150 à 200 km très rapidement ! Par là même on constate qu’Emil est peut être plus performant dans des conditions d’ensoleillement limité. Son engin semble moins lourd et son pédalage est peut être plus performant (“20 ans de moins…” précise Jean-Marc).
Derrière, Bernard Cauquil, qui aura moins de chance avec la météo, continue de perdre régulièrement du temps. 1 jour de retard à Riga, un peu plus de 2 jours à Constanta (soit plus de 600km de retard), il commence à se rendre compte que la remontada ne sera pas si facile que cela. “Si la météo reste aussi bonne pour les 2 premiers, c’est terminé pour moi” nous dit-il en passant à Constanta, en affirmant alors vouloir baisser un peu la cadence, pour profiter davantage du voyage. Il gardera quand même un rythme exceptionnel jusqu’au bout.
Acte 4 : le raccourci Serbe
Après le passage du checkpoint 2, Jean-Marc peine à remonter son retard. Il est 150 à 200 km derrière Emil, ce qui sera l’écart le plus grand entre les deux. Au 15ème jour de route, Emil décide de rester dans les pays de l’Union européenne, en passant de la Roumanie à la Hongrie. “C’est un choix lié à la qualité de route, mais surtout au covid, je pensais qu’il fallait un test PCR négatif pour passer en Serbie, qui est hors UE”.
Derrière Jean-Marc fait lui un choix différent : “Nous avions choisi cette trajectoire avant, mais le fait qu´Emil parte Nord par la Hongrie, nous a confortés dans notre choix de faire différent de lui pour ouvrir le jeu”.
Au final, comme ailleurs le covid n’a posé aucun problème… et on peut penser que ce raccourci aura permis à Jean-Marc de grappiller quelques kilomètres sur Emil, qui estime n’avoir pas perdu plus d’une heure sur l’opération. Mais ces kilomètres grappillés seront très précieux pour Jean-Marc, pour être dans la roue du leader à l’approche des Alpes et surtout pour arriver dans le bon timing météo au Stelvio !
Acte 5 : le mythe du Stelvio
Si le Stelvio a été choisi pour être le checkpoint 3 de l’aventure, c’est exactement pour lire ce genre de récit (à retrouver en intégralité sur ce lien ) !
L’été 2021 ayant été plus que moyen dans les Alpes, le soleil jouait à cache cache au moment du passage des leaders (comme de beaucoup d’autres participants). Emil arrivait sur les pentes du mythique col le 3 juillet, dans l’après-midi, avec une stratégie de monter le plus doucement possible, en utilisant la faible luminosité pour assister un peu son pédalage. Il terminait sous une pluie froide, mais au final aucune difficulté pour lui. Le plan était respecté à la lettre, avec une batterie pas totalement vidée au sommet du col. Il poursuivait son chemin. A ce moment-là il espérait certainement, secrètement, avoir semé pour de bon le brave Jean-Marc.
Mais le même jour Jean-Marc s’imposait un effort de presque 14 heures de route dans les vallées autrichiennes et italiennes, pour pouvoir dormir au pied du Stelvio et espérer prendre une éclaircie avant le mauvais temps annoncé. Au matin du 4 juillet, son plan se déroula comme par miracle, avec un soleil brillant dès 6h du matin, entre deux gros nuages. Il restait au camping jusqu’à 9h environ avant de partir à fond dans la montée. A mi-pente le soleil était encore présent. Il s’arrêtait pendant près de 2 heures pour capter un maximum d’énergie, avant que les nuages ne s’installent pour de bon. Au sommet il frise la surchauffe moteur, mais il passe, 24 heures exactement après Emil. Il sait qu’il pourra recharger ses batteries dans la descente, grâce à son moteur roue, et lance à son adversaire direct “Je suis pas mort, accroche toi Emil, rien n’est joué ! »
On peut clairement penser que cet épisode du Stelvio a joué dans le moral des deux leaders. Jean-Marc a eu de la chance avec la météo, et alors qu’il pouvait perdre un jour ou deux sur cette montée (ce qui aurait été irréversible), il ressort de là plus motivé que jamais, décidé à reprendre son retard, kilomètre par kilomètre !
Pour ce qui est de Bernard, il passe au Stelvio avec 3 jours de retard environ, mais surtout il se fait un point d’honneur de prouver que sa machine était la plus performante en montagne. Il élabore un plan pour arriver avec assez de batterie pour monter d’un seul coup, et il réalise une démonstration. Là où les deux leaders ont mis plus de 3h30 à monter, Bernard monte en 1h32, ce qui le classe au même niveau de performance qu’un cycliste professionnel. Le temps est tellement exceptionnel que l’application Strava bloquera sa performance, en demandant à Bernard de se référencer dans la catégorie VAE. On sait les puristes du vélo très susceptibles quand il s’agit d’analyser les records !
Acte 6 : Bernard roi d’Espagne
Bernard continuait sur sa lancée et décidait d’itinéraires différents des autres, en France mais surtout en Espagne, où il coupait par le milieu des terres, sur des routes taillées pour l’aventure. Qui plus est, il rentre en Espagne avec 4 jours de retard et en ressort avec le même écart. C’est la seule partie où il a pu faire jeu égal avec les vélomobiles. Ses choix ont été payants et il ne faisait qu’une bouchée du Pico Veleta.
Sur cette partie du parcours, le champion 2015 était dans son élément et il s’est fait plaisir. Seulement regrettait-il que le parcours décidé pour cette édition 2021 laisse trop de place aux grandes routes ou encore que le checkpoint du Portugal n’ait pas été placé dans les zones montagneuses, qu’il était le premier à affronter. Il aurait tant aimé un parcours plus accidenté, pour pouvoir surpasser les vélomobiles.
Acte 7 : bras de fer dans le sud de l’Espagne
Les deux leaders poursuivaient leur course poursuite jusqu’au bout de l’Espagne ! Mais dès le sud de la France, Emil prévenait l’organisation de problèmes avec sa roue arrière. Un problème qui allait lui faire perdre du temps progressivement, jusqu’au 24ème jour où un arrêt au stand lui faisait perdre la tête, au sud de Valencia. Au moment de passer en tête Jean-Marc demande si Emil a besoin d’aide, puis il prend le lead, pour ne plus le perdre.
La chaleur est intense en plein mois de juillet, plus de 45° par endroit. Les deux leaders se retrouvent sur la montée du Pico Veleta, où Jean-Marc est rattrapé à 2500m d’altitude, un peu gêné par un fort vent. Les deux décident de finir ensemble, puis de s’offrir une après-midi de pause dans la station de Sierra Nevada, afin d’éviter les plus grosses chaleurs 2000 m plus bas.
Le Pico Veleta n’aura donc été en rien décisif, mais les jours qui suivront le seront davantage. Après Grenada les itinéraires divergent et Jean-Marc, qui part plus au sud, reprend un avantage intéressant.
Interrogé sur cet épisode, Emil regrette de n’avoir pas pris le temps de plus étudier les routes dans le sud de l’Espagne : “C’est vraiment spécial là-bas pour se diriger, plus difficile qu’ailleurs, avec des routes pas bonnes que j’aurai dû éviter ».
Jean-Marc lui a un souvenir très précis du jour suivant le Pico Veleta : « J’ai suivi à la lettre la trace de mon routeur, qui m’a fait partir plein Ouest, direction Lisbonne, plutôt que Porto au Nord. Beaucoup de mes suiveurs s’en inquiètent sur le moment. Mais au final, en fin de journée, je m’étais bien recadré au Nord, sur la trajectoire directe, avec une avance de 50 km sur Emil. J´avais 3000 d+ au compteur et Emil 4000 d+ !”
Acte 8 : Porto !
La route de Porto s’avère aussi difficile, vallonnée, avec parfois des routes à trou. Emil perd progressivement du temps et à Porto il doit prendre quelques heures pour réparer.
Les deux leaders demandent à l’organisation de ne pas imposer une pause sur une nuit à Porto. “On a tous les deux envie d’en finir au plus vite” précise Emil.
Ils veulent rentrer à la maison, toutefois la sortie de Porto en surprendra plus d’un ! Les deux leaders décident d’un retour sur leurs pas, sur une distance de plus de 100 km. Objectif : éviter les zones montagneuses du Nord du Portugal !
Jean-Marc : “Face aux inquiétudes, voire les cris presque audibles de mes followers à travers WhatsApp, nous avions choisi de communiquer avec Gauthier en disant que je repassais à l´hôtel où j’avais oublié ma brosse la nuit précédente. Par la suite, quand ils voient Emil faire la même chose, alors que moi je repars Est, Nord-Est, les cris se turent”
Emil : “Ce retour en arrière était prévu, j’ai pas juste suivi Jean-Marc. Je pense pas qu’on ait gagné du temps à faire ça, mais par contre on a préservé nos engins, en s’évitant beaucoup de descentes et de trous. C’était un choix stratégique logique”.
Acte 9 : le coup d’éclat d’Emil
Au moment de passer Valladolid dans le centre de l’Espagne, Emil affiche un retard de 150/200 km. Jamais il n’aura été si loin de Jean-Marc.
Nous sommes au 30ème jour d’aventure, la fatigue est généralisée, les communications avec les participants se font rares. La partie semble terminée, le beau temps est annoncé pour la suite et les difficultés sont passées.
Mais Emil n’a pas dit son dernier mot. Il garde son cap Nord, sur Burgos déjà, puis le Pays Basque ensuite, au moment où Jean-Marc est déjà vers Barcelone.
A la surprise générale Emil décide donc un coup de poker, pariant sur une meilleure météo en France dans le Sud Ouest puis dans le Massif central, qu’autour de la méditerranée et dans la Vallée du Rhône : “Je voyais que je n’arrivais pas à reprendre Jean-Marc sur l’itinéraire le plus logique, donc il fallait tenter quelque chose. Le vent, notamment, pouvait jouer en ma faveur. C’était un super choix en tout cas, je ne regrette pas”.
Acte 10 : la dernière ligne droite, racontée par Jean-Marc
A deux jours de l’arrivée, les cartes sont donc rebattues ! C’est clairement un scénario de rêve pour la fin de l’aventure. Les deux leaders vont au bout de l’effort, porté par une émulation digne d’une course au large.
Sur le papier Jean-Marc a l’avantage, car son parcours est nettement plus plat que celui d’Emil. Mais le vent devait jouer un rôle décisif, dès l’entrée en France avec un vent de côté fort au niveau de Perpignan, puis un vent de face jusqu’au début de la vallée du Rhône. Par chance les prévisions annonçaient la fin du vent pour la journée d’arrivée. Si le vent avait continué fort de face, il n’est pas sûr que les 3 heures d’avance sur la ligne d’arrivée auraient suffit.
Car de son côté Emil a réalisé une performance incroyable à travers le massif central. Brive la Gaillarde – Lyon en un jour, c’est 350 km pour parachever son aventure et arrivée une heure avant l’heure limite du soir (avec laquelle il a trop souvent flirté durant l’aventure, soit dit en passant). Il ne pensait tellement pas y arriver que son frère, habitant Lausanne en Suisse, lui reprochera le lendemain de ne l’avoir pas prévenu d’une possible arrivée le même jour que Jean-Marc, auquel cas il aurait été là pour l’arrivée !
Pour revivre ce final, on vous livre le récit du vainqueur sur le choix d’itinéraire en Espagne. Un moment décisif, comme si vous étiez avec lui dans le cockpit de son vélomobile :
“Pour le final, mon routage me faisait passer par l’ouest des Pyrénées, le pays Basque, puis Toulouse, Montpellier et la vallée du Rhône. Il me faisait éviter quoi qu´il arrive le Massif Central et ses dénivelés.
A deux jours d´arriver en France, les prévisions météo pour le Sud-Ouest étaient mauvaises, nous obligeant à réfléchir à une alternative un peu plus longue mais garantissant un ensoleillement. Il fait toujours beau l’été au Sud des Pyrénées. Nous étions alors partis sur ce changement de dernière minute.
Mais à un jour de passer, changement de temps annoncé, les prévisions donnent maintenant beau temps sur le Sud Ouest.
Ce matin-là, du deuxième jour en Espagne, comme tous les matins, je démarre à 6h. Il fait encore nuit noire en Espagne à cette heure-là.
Ce n’est malgré tout pas un matin comme les autres, en effet, j´ai une seule heure pour faire le choix définitif de route entre le Sud Ouest comme Emil qui a déjà fait son choix et l´Est des Pyrénées par là où nous sommes tous rentrés en Espagne.
Une seule heure, car vers 7h je croise une route ; soit je continue au Nord vers le pays Basque, soit je prends cette route plein Est direction Barcelone puis la France. À 6h15 pendant que je roule dans la nuit, nous faisons un point avec l´équipe, mes 2G, Gauthier et Guillaume.
Les prévisions météo sont finalement bonnes pour le Sud Ouest de la France, Emil y va.
Que fais-je ? Je me souviens leur avoir posé la question tour à tour « Que ferais-tu? » Et d’avoir eu une réponse de normand. Normal pour Gauthier, mon voisin en Normandie.
Après 9000 km, la fatigue nous pousse à vouloir se décharger sur les autres et à pédaler sans trop réfléchir, car réfléchir ajoute encore à la fatigue.
Malgré la tentation de partager sa fatigue, c´est bien tout l’intérêt du Sun Trip de nous faire vivre ces moments où, malgré toute l’aide extérieure, sa cellule de routage, sa famille, ses amis, on est seul à bord, dans la nuit, seul au monde pour prendre une décision qui engage la fin de course et peut être la victoire finale. Je me souviens de cette dernière demi-heure, seul avec le soleil levant et cette décision à prendre. C’était intense. Mes 2 G m´avaient quitté en me disant, on verra le résultat de ta décision lors du relevé de 7h30.
Je me souviens parfaitement de la tension intérieure qui monte à mesure que l’échéance arrive. Je me souviens parfaitement de la bretelle qui se présente maintenant à moi à 500m, puis 400, puis le croisement arrive… Je décide de la prendre. Route pour l’Est”.
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Au bout du compte, 3h15 entre les deux premiers ! L’équivalent de 100 km ! Après 11205 km d’un combat acharné, c’est le plus faible écart de l’histoire du Sun Trip.
La vitesse moyenne est annoncée à 30.2 km/h sur le global, c’est pas tellement plus vite que 2018, mais les heures de roulage sont elles bien plus élevées : 11h40 de pédalage/jour pour Jean-Marc Dubouloz. Des chiffres qui sont aussi le signe d’un parcours 2021 beaucoup plus tortueux que sur les éditions 2013, 2015 et 2018. En Europe peu de longue ligne droite comme dans les steppes d’Asie et pas d’autoroute comme en Chine. On peut penser que les vélomobiles, lancés sur le même parcours que 2018 (assez plat au final), auraient réalisé une vitesse moyenne bien supérieure.
Bernard Cauquil arrivait lui 4 jours plus tard, un écart stabilisé sur toute la partie ibérique. Isolé en 3ème position durant toute l’aventure, avec 22 jours d’avance sur le 4ème… Bernard aura su garder la force mentale pour pousser jusqu’au bout et montrer que son engin était à la hauteur.
A son compteur, une consommation moyenne 9.2Wh/km, là où Jean-Marc affiche un impressionnant 6.7Wh/km. “Je remercie Jean-Marc et Emil d’être allé si vite, ça m’a permis de décrocher un peu de la course et de prendre le temps de mieux profiter de l’aventure”, disait-il à l’arrivée, avec une pointe de sarcasme. A 300 km par jour de moyenne, le champion 2015 aurait-il réellement faire plus ? Sur le terrain choisi pour cette édition 2021 les capacités techniques de son engin ne permettaient pas mieux. (Voir cet article de comparaison des données techniques). Qu’en serait-il sur un parcours européen où chaque checkpoint amènerait à traverser un massif montagneux ? L’avenir nous le dira peut-être.
Quoiqu’il en soit, les performances des vélomobiles auront marqué l’histoire du Sun Trip et de la mobilité solaire. Il faut s’en féliciter, s’en impressionner, en rêver. Dans 100 ans la mobilité solaire aura peut-être pris le dessus sur les autres, mais aujourd’hui 11.000 km en 33 jours c’est juste magique !
L’aventure solaire ne fait que commencer.
Florian Bailly – Fondateur du Sun Trip